mardi 11 décembre 2012

Stéphane Braunschweig, rencontres

Stéphane Braunschweig est un metteur en scène de théâtre qui dirige le Théâtre de la Colline à Paris – où il a pris la suite d’Alain Françon – depuis janvier 2010.

Quels auteurs privilégiés a-t-il déjà montés sur scène ? Shakespeare, Eschyle, Sophocle, Tchekhov, Ibsen, Molière et quelques auteurs contemporains tels qu’Olivier Py. Dans son théâtre, il montre surtout des pièces d’aujourd’hui et remonte jusqu’à la fin du XIXè s., le début du XX è avec des auteurs tels que Tchékhov ou Ibsen qu’il considère comme les premiers modernes. Travail dans la continuité de celui de Françon qui a amené plus d’ouverture au théâtre de la Colline. Braunschweig fait en outrepartie d’un groupe de lecture –et de réflexion-  sur l’écrit contemporain.
Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello est la première création dramatique extérieure depuis cette prise de fonction, s’il on excepte les mises en scène d’opéras, fort nombreuses dans la carrière de S. Braunschweig (Bartók,  Verdi,  Debussy…)
Les guillemets signalent que les expressions citées sont directement empruntées à Stéphane Braunschweig, dans les propos qu’il a tenus soit dans l’émission « Avignon, écritures contemporaines » le 8/12/2012 (1) – 15 premières minutes de l’émission -, soit lors du « Grand Entretien » de la Grande Table 2è partie, le 06/09/2012, entretien mené par Caroline Broué (2) –durée 34’23’’. Ces deux émissions peuvent être chargées et écoutées grâce aux liens indiqués en bas de page. L’émission (2) offre deux extraits audio de la pièce, l’un à 16’07, l’autre à 19’09.
Le point de départ de la pièce : Ce qui a plu au metteur en scène : « l’idée géniale de ces personnages qui cherchent un auteur ».
La pièce s’ouvre sur une sorte de  prologue : les comédiens s’interrogent jusqu’à ce qu’un groupe de personnages apparaisse. Tous ces échanges sont l’occasion d’une réflexion sur le théâtre d’aujourd’hui.
Braunschweig rappelle que ces personnages n’ont sans doute pas cessé d’obséder Pirandello et qu’en même temps, il ne parvenait pas à les inscrire dans une histoire, un récit, alors « il les a abandonnés ». Les six personnages débarquent sur le plateau et se confrontent à une troupe de comédiens. Pirandello les a donc finalement repris pour cette pièce qui pose le problème de la création dramatique.
Point important à noter : contrairement à chez Pirandello, l’auteur revient dans la pièce. (cf nouvelle édition du texte revu par le metteur en scène et publié aux Solitaires intempestifs)
Le théâtre de la Colline offre dans sa saison 2012-2013 plusieurs  spectacles qui mettent l’art et l’artiste au cœur du spectacle  et qui s’interrogent sur la fonction de l’art. Selon le metteur en scène, c’est sans doute dans l’air du temps : les élections présidentielles sont récentes, nous sommes en temps de crise … la question de la nécessité de l’art mérite d’être posée et réaffirmée.
Extrait de la pièce : « J’ai peur (…) [est-ce que] ça a encore du sens de travailler sur des textes ? » L’importance de l’écriture de plateau est soulignée, et pourtant le metteur en scène [de la pièce, dans la mise en abyme] déclare : «  je ne veux pas abandonner l’auteur,  je ne  peux pas. » Caroline Broué (la journaliste) se demande si ces interrogations reflètent celles de S. Braunschweig. Réponse : « C’est vrai que ce que dit le metteur en scène, je pourrais le dire, y compris le « j’ai peur » » : il a envie de mettre sur le plateau les questions qu’il se pose tous les jours quand il travaille.
Chaque nouveau spectacle est l’occasion de se demander : « Qu’est-ce que je vais faire ? Qu’est-ce que je vais raconter ? » Pour la journaliste cela pose la question : « Qu’est-ce que le théâtre dans notre société ? »
Pour Braunschweig  l’opposition entre texte ou pas texte (et donc plateau) est assez factice.
Il réfléchit lui-même sa scénographie et n’hésite pas ici à souligner la dimension réflexive du spectacle[1] par des éléments du décor ; en outre, il utilise, comme un outil à sa disposition – auquel il a eu recours dans un autre spectacle, dès 1993 -, la vidéo qui, ici, sert le propos : la question de savoir ce qui est propre au théâtre et de ce qui le distingue du cinéma est posée au moment où la vidéo surgit dans le spectacle. Pour Braunschweig  l’un des intérêts de la vidéo est ici de dédoubler les personnages ; les petits interludes créés à ce se sujet n’existent pas chez Pirandello.

Le texte monté n’est pas exactement celui du prix Nobel de littérature italien ; c’est une adaptation, un texte en partie réécrit. S. Braunschweig a déjà traduit des textes, mais plutôt des textes allemands. Il éprouve un vrai plaisir à le faire : à rendre la pensée de l’auteur dans une langue d’aujourd’hui. Contrairement à ce que peuvent faire croire certaines des traductions de Pirandello, sa langue n’est pas très sophistiquée. C’est aussi ce que le metteur en scène a voulu faire apparaître. Le texte de Luigi Pirandello continue à servir de base de travail : Braunschweig l’a en partie retraduit mais il a également développé une écriture de plateau avec ses comédiens qui ont improvisé à partir des principales situations mises en œuvre dans la pièce. « Je suis parti de mes doutes, de mes questionnements. Avec les comédiens on est parti d’improvisations » à partir de l’idée de départ de la pièce. Braunschweig a souhaité que les personnages aient une ambiguïté, qu’ils aient vraiment l’air de personnages imaginaires… Attention : c’est bien un travail d’adaptation, une sorte d’interprétation de la pièce que Braunschweig en a fait, pas une réécriture complète.
Pirandello était un auteur très critique à l’égard du théâtre de son temps, un théâtre dont S. Braunschweig rappelle qu’il était bourgeois, très hiérarchisé (avec un premier grand rôle, le second rôle etc.) et consensuel : c’est un théâtre qui veillait à ne pas froisser le public et qui même cherchait à le flatter.
L’une des questions qui traverse la pièce est celle de la pudeur et de l’impudeur, du besoin des gens d’exposer leur intimité. Pour Braunschweig, dans le monde d’aujourd’hui, cela peut renvoyer aux gens qui exposent leur intimité via les réseaux sociaux ou les Reality Show (1) et (2). Cela pose le problème de l’image qu’on veut donner de soi : d’un côté, on prêche la transparence, de l’autre on ne donne finalement à voir de soi qu’une « belle intimité » -ce qui relève de l’artifice.
À quoi sert donc le théâtre ? Quelle que soit la pièce, on s’adresse toujours à un public d’aujourd’hui. Le travail du metteur en scène, c’est « faire résonner la pièce avec le présent », que ce soit une pièce actuelle ou ancienne. Une des fonctions du théâtre, c’est de « faire résonner le passé dans le présent ».
« Être artiste c’est avoir des doutes mais aussi des convictions. Une de mes convictions est qu’on a besoin des auteurs aujourd’hui parce qu’ils portent un regard singulier sur le monde » – quels que soient les auteurs dont on parle : tous genres et arts confondus. »
« La représentation c’est aussi du présent ; il faut que quelque chose se passe sur le plateau. »

 

Petit plus : la chronique de Rab'hati qui a recueilli certains  propos de S. Braunschweig le lundi 10/12, à l'occasion de la Rencontre "Grand Témoin" organisé par la Comédie de Valence.

Vous n'avez jamais voulu être acteur ?
"J'ai essayé, mais à la réplique suivante, je me suis remplacé, le désir d'être acteur n'a jamais été là !"
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Bernard Sobel et Antoine Vitez.
On peut être influencé par ses "pères" (ou ses pairs !!) sans même avoir aimé tous leurs spectacles.
 À propos de Sobel (1) : du classique, mais très grand déchiffreur des textes du passé ; très généreux. À propos de Vitez (2) : un très gand metteur en scène !
Vous mettez toujours des questions dans vos pièces. Serait-ce parce que la pièce vous pose des questions ?
Le théâtre que je fais est rempli de questions. Mon but : monter des pièce qui font sens (...) j'essaie de faire résonner la pièce avec des états psychiques de la société.
EN VRAC :
J'essaie de monter des pièces qui pour moi sont énigmatiques.
J'aime que le spectateur mène une enquête.

(1) Bernard Sobel : Bernard Sobel, de son vrai nom Bernard Rothstein est un metteur en scène et réalisateur né en 1935.
(2) Antoine Vitez, né à Paris le 20 décembre 1930 et mort à Paris le 30 avril 1990, est un metteur en scène de théâtre et un personnage central et influent du théâtre français d'après-guerre, notamment pour son enseignement du théâtre.


[1] La dimension réflexive du spectacle renvoie surtout au fait qu’il fait réfléchir sur le genre théâtral.

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